Le Barrage et son aqueduc

 

 

C’est grâce à Emile Daillan qui a su réaliser au cours de ses mandats successifs de 1881 à 1891 cet ouvrage qui fut si longtemps et reste encore utile aux Saint Rémois.
Mais, si le barrage a son histoire, le site dans lequel il a été construit en a une, plus prestigieuse encore, qu'il convient de ne pas oublier.
Les noms successifs des lieux traversés par les eaux du barrage sont déjà évocateurs d'un passé lointain :

– Le Vallon de Gros porte le nom d'une vieille famille Saint Rémoise, qui possédait déjà, au 17ème siècle, les terres et le mas du même nom situés en amont du barrage. On en trouve successivement propriétaires :
 

Louis Gros & Marie Fabre, Jean Gros & Catherine Giraudon, mariés en 1711, Louis Gros & Magdeleine Ferrier, mariés vers 1759, Joseph Gros & Anne Moulin et enfin Jean-Pierre Gros & Elisabeth Deville, mariés en 1853.

Le Vallon de la Baume est un autre nom du même vallon, dû à la présence d'une baume ou grotte située rive droite, à quelques dizaines de mètres en amont du barrage. Aujourd'hui elle est presque totalement submergée par les eaux.

 

 L'entrée de ce vallon de Gros ou de la Baume a inspiré les artistes :
Esprit Calvet, le savant médecin avignonnais, ne pouvait s'empêcher d'écrire en 1765 en commentaire d'un dessin des lieux :
" C'est la vue de l'ancien étang en sortant de la gorge. 

Le jour est assez sombre dans cette gorge. Quand on en sort, on aperçoit brusquement la grande montagne. L'après-midi lorsqu'elle est éclairée par le soleil couchant, c'est une espèce de coup de théâtre. Je n'ai pas vu de spectacle plus frappant ni de plus majestueux. "

Marius Girard en fit un dessin avant la construction du barrage, publié par M. Marcel Bonnet en 1977 dans le programme des Fêtes du 1er mai.
Frédéric George en prit une très belle photographie à la même époque (collection Marcel Bonnet).

Enfin, un photographe anonyme prit, sous le même angle, une vue du site après la construction du barrage, et, semble-t-il, avant la mise en place de la masse filtrante, donc entre 1891 et 1895, et, en tous cas, avant le décès de Marius Girard (1906) qui la conserva dans ses collections (aujourd'hui dans le fonds du Musée des Alpilles-Pierre de Brun)


– La Gorge des Peiròu, en aval du barrage, a été creusée par les eaux dans les calcaires durs de l'urgonien qui forment la barrière nord de cette partie des Alpilles. Elle doit son nom aux peiròu ou chaudrons qui ont été creusés par le tourbillonnement des eaux chargées de sable et de galets. Esprit Calvet ajoute à son sujet :
" Excepté dans le fort de l'été, il y a toujours de l'eau dans la gorge, elle vient des fontaines qui sont dans le lieu même. "

En décembre 1889, Vincent Van Gogh a peint et restitué à nos yeux en deux magnifiques tableaux (catalogue de la Faille N°661 et 662) la sortie de la gorge avec ses peiròu dans le lit du torrent. Ce fut Jean Baltus, qui le premier identifia ce lieu peint par Van Gogh, grâce à la montagne du fond qui n'est autre que la falaise bordant la rive gauche de la gorge.

– Le Gaudre du Rougadou est le nom pris par le torrent dans la partie encore à forte pente qui le mène dans la plaine Saint Rémoise. Cette dénomination provient certainement de la présence d'un rougadou ou oratoire qui se trouvait à proximité du gaudre.

– Le Gaudre de Jonquerolles en est la partie basse, lorsqu'il traverse le quartier du même nom, avant d'être récupéré par divers canaux qui le mènent au Vigueirat.
Mais, il nous faut remonter encore plus loin dans le passé, à l'époque de Glanum, pour retrouver les habitants du lieu dans les mêmes dispositions que les Saint Rémois il y a 100 ans. En effet, ils construisaient un barrage et, à quelques mètres près, au même endroit !
Le premier témoignage qui nous en a été donné, est celui d'Esprit Calvet. Il était depuis de longues années en relation avec Anne Claude de Tubières, comte de Caylus, membre influent de l'Académie royale des Inscriptions, qu'il avait eu l'occasion de soigner et qui le fit nommer membre correspondant de cette Académie en 1763.
Dans la nombreuse correspondance qu'échangèrent ces deux savants, le barrage romain des Peiròu est largement évoqué de 1763 à 1765.
Fernand Benoit en a déjà fait état en 1935 dans un article intitulé Le barrage et l'aqueduc romains de Saint Remy en Provence paru dans la revue des Etudes Anciennes (Tome 37, N°3, Juillet-Septembre 1935, p.331).
D'après Esprit Calvet, le barrage était ancré dans le rocher à l'aide de 2 larges entailles faites de chaque côté de la gorge. Celles d'amont avaient 3 pieds de large (environ 1 m.) et celles d'aval 4 pieds, l'intervalle entre les 2 entailles étant de 5 pieds.

 

Les rainures d'aval ont été presque entièrement recouvertes par la nouvelle construction et celles d'amont le sont par les eaux, ne laissant voir que le sommet de la rainure de la rive droite.
Un double système de canalisations, que l'on peut suivre sur quelques centaines de mètres conduisait les eaux vers Glanum.
Le premier forme un sentier à faible pente taillé dans le roc en suivant les sinuosités de la montagne. Par endroit il est taillé en auge, non pas pour le passage des eaux, mais plus probablement pour retenir des tuyaux de plomb.
Photos : J.Delrieux 09/1991

Le second procède d'une autre technique. Des entailles ont été faites dans le roc pour servir de base à un aqueduc aérien. Parallèle au premier et le touchant presque, il s'en écarte seulement et d'une manière importante pour s'éloigner d'une face et d'un couloir d'éboulis, qui devaient endommager la première canalisation. Ils se rejoignent ensuite pour traverser (sans laisser de trace) un vallon et on les retrouve tous les deux sur l'ancien sentier qui menaient des fouilles de Glanum au barrage en s'élevant progressivement au-dessus de la gorge des Piròu.
Photos : J.Delrieux 09/1991

L'absence de restes de mortier, aussi bien dans les rainures du site du barrage que dans les entailles de la canalisation, sema le doute parmi les archéologues.
En particulier, Isidore Gilles affirma dans son ouvrage Marius et Jules César - Leurs monuments dans la Gaule, paru en 1871 :
" Ce travail, à peine commencé lorsque Marius quitta le camp de Glanum, fut abandonné en l'état où nous le voyons, malgré l'affirmation contraire de quelques écrivains. " (M. de Lagoy, M. de Gasparin)
Mais vers 1885, Hector Nicolas étudia les fossiles des Alpilles et publia en 1888, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, le compte-rendu de ses travaux, où il indique:
" Mes incertitudes disparurent en étudiant un tout petit dépôt vaseux situé à quelques 20 mètres à l'amont des grandes rainures et à une hauteur suffisante pour résoudre la question.
Ce limon, bien au-dessus des eaux qui coulent encore sur le roc, contenait une foule de coquilles lacustres, telles que planorbes, limnés, physes et autres certainement qui vivent dans les eaux stagnantes ou à faible courant.
Cette découverte, pour si insignifiante qu'elle paraisse, ne vient pas moins confirmer l'existence d'une accumulation d'eau, où sont nées et où se sont développées les espèces de coquilles que j'ai rencontrées dans ces alluvions lentement formées en amont par l'élévation des eaux du ravin, et elles sont si caractéristiques qu'aujourd'hui, bien que le ruisseau ait son libre écoulement, on les chercherait en vain dans ce courant, contraire à leur habitat. "
L'argument était irréfutable, et Isidore Gilles, après l'avoir reconnu de façon peu claire en 1890 dans son article Glanum, Saint Remy de Provence, publié dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, disait franchement en 1897, dans son Pays d'Arles (Tome 2, p.343):
" Nous nous trompions ainsi que nous l'avons reconnu. "
Pour expliquer l'absence de mortier, Hector Nicolas émit l'hypothèse de constructions en bois pour la seconde canalisation, parfaitement plausible par la présence d'entailles dont les positions correspondraient à l'adjonction de contreforts dans des parties courbes de la construction.
Il donne la même explication pour le barrage lui-même qui aurait été constitué de deux murailles de troncs d'arbre engagés dans les rainures, avec bourrage de terre entre les deux.
Cela n’est pas satisfaisant et il vaudrait mieux rejoindre l'opinion de N. Schnitter Reinhardt qui, dans les Dossiers de l'Archéologie (N°38, Octobre-Novembre 1979), se basant, sans le citer sur les descriptions d'Esprit Calvet, concluait à l'existence d'un barrage voûte nécessairement construit en pierre avec noyau intermédiaire de terre assurant l'étanchéité, ce qui nous semble plus logique pour la solidité de l'ouvrage.

Nous avons essayé de reconstituer le passage de la canalisation ainsi que celui de l’aqueduc en fonction des différents descriptifs est des entailles que nous avons retrouvé sur le site.
 
 
 
Les aqueducs du barrage romain de Saint Remy (tracé approximatif
 
Situation :