Géologie des environs de Saint Remy,
Barrage romain
Abri sous roches et grottes de ravins
par H. Nicolas
II° Partie –– Barrage Romain
Les assises du Danien reposent sur les couches du Néocomien supérieur
fortement relevées et offranr des ravins isolés dans ce premier
contrefort des Alpines à l'aspect rude et sauvage.
Si des antiques vous suivez le ravin qui passe au pied même où coule,
en été, un mince filet d'eau, vous arrivez, en le remontant, dans une
brèche profonde, un diminutif du Régalon où par des accidents
brusques, des sinuosités rapprochées, on débouche dans un ravin
étroit, resserré, taillé à pic, qui conduit à son tour dans un vallon
assez étendu.
Là serpente le ruisseau, l'agent actif et persévérant qui a dû
creuser, polir cette roche aux bords escarpés pour l'écoulement de ses
eaux.
La pente est rude ; les eaux bondissent en petites cascades et ajoutent
le bruit monotone du ruissellement à ce sauvage paysage.
Mais en temps d'orage le courant s'engouffre, tourbillonne, se rejette de
droite à gauche avec violence et forme des remous à chaque coude de ce
couloir tortueux, de là le nom de Piroulet, en patois, et de
Chaudrons par lequel il est connu, et du vallon de la Baume.
Le flanc droit de cette cassure, de cette gorge ne présente rien de
particulier, tandis que celui de gauche offre une foule d'entailles à
diverses hauteurs, espèces de gradins de 1.00 de longueur pratiqués dans
le roc dur et vif (Voir fig. 9 et 10).
Ces excavations nombreuses vous amènent à l'entrée, où alors quatre
grandes entailles se montrent, deux de chaque côté et vis-à-vis, hautes
de I2 à I4 mètres.
C'est là le barrage romain que Marius, d'après certains auteurs, se
préparait à construire pour alimenter Glanum ; mais à peine était-il
commencé, que ce général dut quitter Glanum, abandonnant ainsi son
ouvrage (1).
(1) J. Gilles, Marius et J. César, (p. 16, I7 et 18.)
" Le camp de Marius, à Glanum, était alimenté à l'ouest par les
eaux du vallon des Chaudrons, qui coulaient naturellement dans le lit du
torrent ; mais il est facile de reconnaître que Marius se préparait à
faire un barrage pour en surélever le niveau et les faire remonter
jusqu'à la partie supérieure du camp.
" On voit, en effet, à l'entrée de l'étroite gorge de cette
vallée qu'on
nomme les Chaudrons, un commencement d'entaille double faite de chaque
côté du rocher, destinée à recevoir un barrage en maçonnerie pour
emmagasiner et surélever les eaux, ainsi que l'ébauche d'un canal aussi
creusé dans le roc dans toute la longueur de la gorge et jusqu'en face du
mas de Vidau.
" Ce travail, à peine commencé lorsque Marius quitta le camp de
Glanum, fut abandonné en l'état où nous le voyons et n'a jamais été
terminé, malgré l'affirmation contraire de quelques écrivains. "
" M. de Gasparin, dans son Cours complet d'agriculture (tome
1er, p. 447 et 448) parle aussi de ce barrage comme ayant
réellement existé ; et d'autres écrivains, convaincus par l'autorité
de ce grand nom, sont allés jusqu'à citer le barrage de Saint-Remy comme
moyen de se procurer des eaux d'arrosage.
" Mais il est facile de reconnaître que le barrage et l'aqueduc
n'ont jamais été achevés ; que ses
eaux ne pouvaient
arriver à Glanum, placé à un niveau beaucoup plus élevé (20 mètres
environ), et qu'elles étaient au contraire destinées à alimenter la partie
supérieure du camp de Marius.
" Si les habitants de Glanum avaient voulu amener des eaux dans leur
ville, ils n'auraient pas choisi celles de la gorge des Chaudrons, mais
plutôt celles du vallon de Saint-Clergue, qui ne tarissent jamais, sont
plus rapprochées, plus abondantes et à un niveau plus élevé. C'est à
Saint-Clergue qu'ils auraient établi leur barrage et construit leur
dérivation, et non aux Chaudrons, où l'eau manque une partie de
l'année.
D'autre part (2) il semblerait démontré que ce barrage avait réellement fonctionné.
Au moment où la ville de Saint-Remy se dispose à profiter de ces
travaux préparatoires pour édifier ou réédifier de nouveau ce barrage,
il nous a semblé utile de rechercher s'il avait jadis existé et si l'on
pouvait sur place reconnaître les restes de constructions disparues.
Tout d'abord les rainures n'offrent aucune trace de maçonneries, et
certainement si un mur avait été élevé là, la surface des entailles,
les coins surtout, auraient conservé quelque peu de mortiers. Or rien,
pas plus là que dans les gradins, malgré le plus minutieux examen.
Mes incertitudes disparurent en étudiant un tout petit dépôt vaseux
situé à quelques 20 mètres à l'amont des grandes rainures et à une
hauteur suffisante pour résoudre la question.
Ce limon, bien au-dessus des eaux qui coulent encore sur le roc,
contenait une foule de coquilles lacustres, telles que planorbes,
limnées, physes et autres certainement qui vivent dans les eaux
stagnantes ou à faible courant.
Cette découverte, pour si insignifiante qu'elle paraisse, ne vient pas
moins confirmer l'existence d'une accumulation d'eau, où sont nées et
où se sont développées les espèces de coquilles que j'ai rencontrées
dans ces alluvions lentement formés en amont par l'élévation des eaux
du ravin, et elles sont si caractéristiques qu'aujourd'hui, bien que le
ruisseau ait son libre écoulement, on les chercherait en vain dans ce
courant, contraire à leur habitat.
Plus de 'limnées, ni physes, ni planorbes ; si une coquille fluviale
pouvait y vivre, nous y verrions la Neritina fluviatilis; mais
même ce gentil petit mollusque, qui adhère si fortement au roc où il se
fixe, ne saurait se maintenir aujourd'hui dans le ravin des Piroulets.
Le barrage a donc existé, et.même il a dû fonctionner pendant une
longue période pour permettre ce dépôt dans des eaux aussi limpides et
la propagation des coquilles qu'il contient. Ces preuves évidentes de la
présence d'ouvrages spéciaux pour transformer en bassin le vallon de la
Baume, en approvi-sionnant et en relevant les eaux du petit ruisselet qui
se perd aujourd'hui, sont suffisantes.
Les grandes entailles ont 1 m. 20 de largeur chacune, l'intervalle qui
les sépare a près de 2 mètres. Si un mur solide y avait été
construit, on n'aurait qu'une entaille unique faite dans toute
l'épaisseur de la maçonnerie, et dans tous les cas, vu la hauteur des
rainures, leur écartement n'était pas suffisant, puisqu'il faut au moins
le 1/3 de la hauteur pour résister à la pression.
Les deux rainures indiquent donc un barrage probablement en bois, formé
de gros madriers avec de la terre entre ces deux rangées, et nous savons
que les bois ne manquaient pas à cette époque, puisqu'au XV° siècle
d'Orgon jusqu'à Saint-Gabriel la forêt qui existait portait le nom de Bois
de guerre.
Sur le plafond même du torrent actuel on distingue encore l'entaille des
rainures qui se continue pour retenir et empêcher le glissement des
pièces de bois de la base (Voir A et B du plan, fig. 12).
(2) " M.de Lagoy (Description de quelques médailles inédites,
1834, p. 23) pense que cet aqueduc était destiné aux usages de la
ville de Glanum : " On aperçoit, dit-il, dans les rochers, les
traces de constructions qui prouvent avec évidence que plusieurs des
vallons plus élevés avaient été fermés par une double muraille pour
retenir les eaux et former de vastes réservoirs à l'usage et à
l'agrément des habitants. "
On lit, d'autre part, dans la Statistique des Bouches-du-Rhône,
tome II, p. 1142 et 1143 :
" Autrefois toute la Vallongue, à partir du voisinage d'Orgon
jusqu'à Romanil et de Romanil jusqu'à Saint-Gabriel, formait une
superbe forêt de chênes dans laquelle on prétend qu'il y avait un temple
de Druides. Au XVe- siècle cette forêt existait encore et portait le nom de
Bois de guerre. Aujourd'hui le sol est presque dépouillé et n'offre
que des chênes kermès et des bois rampants.
" Le talus est la pente qui s'étend depuis le pied des Alpines
jusqu'aux bords du Rêal. Il présente des vallons dévastés par des gaudres
ou torrents qui, du temps des Romains, étaient contenus par des
barrages. Les eaux formaient au-dessus de ces barrages plusieurs petits
lacs qui se dégorgeaient dans des aqueducs destinés à arroser les
terres et à alimenter les fontaines de Glanum. On peut voir encore les
restes de ces utiles travaux dans le vallon de la Baume. "
Les eaux ainsi élevées étaient, nous allons dire comment, amenées en
un point O (voir le plan), où une tranchée est faite dans le roc formant
plate-forme continue de 1 m. 10 de longueur avec une cuvette de 0 m. 30 de
largeur et 0 m. 35 à 0 m 40 de hauteur, destinée à recevoir un tuyau ;
cela est d'autant plus certain, que la pente de cette tranchée n'est pas
très régulière, qu'elle ne suit pas une pente uniforme, et que, si les
eaux avaient coulé sans le secours d'un tuyau, elles auraient déversé
sur certains points trop bas.
Le tuyau dirigeant le débit fonctionne comme siphon, et probablement
pour arriver du barrage à notre conduite sur une distance de 14 à 15
mètres de longueur, on avait ménagé des charpentes en D et C avec
cuvettes en bois ou troncs d'arbres creusés, la paroi du rocher étant
trop à pic pour se décider à l'entailler.
Comme on le voit par la cuvette ménagée dans la coupe (fig. 11), le
débit n'était pas considérable, et correspond à celui des eaux
actuelles très approximativement.
Restent les entailles isolées creusées en gradins aux points C D E H I
J K L M du plan croquis ci-contre (voir figure 12) sur le flanc droit du
ravin seulement.
En C, distant de 10 à 12 mètres du barrage, deux gradins sont à peine
accusés.
En D, à 4 mètres plus loin, deux gradins encore ont été creusés.
A ce point, un premier coude brusque nous amène en E, où quatre gradins
de 1 mètre de largeur, séparés chacun par 1 m. 50, se montrent à
environ 3 mètres au-dessus du ravin.
En H, nouveau groupe de quatre gradins, dont la hauteur au-dessus du
torrent tend toujours à descendre sans laisser moins de 2 mètres pour la
plus basse.
En I, trois se montrent beaucoup plus bas qu'en H et E. Un d'eux est bien
accusé, et le dernier est presque au niveau du plafond.
En J, un seul gradin touche les eaux du ravin et prouve que depuis cette
époque le torrent ne s'est pas approfondi.
En K, cinq nouveaux, également espacés vont en montant.
En L, deux autres continuent à monter.
Enfin en M, se trouvent huit gradins, dont quatre superposés deux à
deux.
Puis au débouché en N, quatre derniers gradins se montrent et terminent
cette série de trente-cinq que j'ai relevés.
J'ai parlé de la tranchée qui de O, au-dessus des entailles E, se
poursuit jusqu'en P, où elle se perd dans les éboulis et les décombres
des pentes.
Tel est l'ensemble des travaux du barrage romain des antiques pour élever
les eaux, les utiliser et les conduire sur un point déterminé (3) que la pente naturelle
du sol ne permettait pas d'atteindre.
Si j'ai justifié les quatre grandes rainures du début, celles du
barrage à l'entrée du ravin des Piroulets, il est en l'état fort
difficile d'expliquer le rôle de 35 entailles placées juste au-dessous
de la tranchée à cuvette, et je ne vois pas comment leur emploi pouvait
concourir à I'oeuvre générale, sans entrer dans des conjectures que
rien ne saurait appuyer.
Était-ce pour y placer de grosses poutres en bois verticales et servir
d'échafaudage ?
Ou bien ces pièces de bois traversaient-elles le torrent?
Ces entailles ne sont que d'un seul côté, sur l'autre flanc du ravin
aucune trace ne se montre.
Servaient-elles de base à des piliers de maçonnerie ? Je ne le pense
pas : leur distribution irrégulière, autant que la hauteur à laquelle
elles sont établies, éloigne cette supposition.
Si le barrage était en bois, ce que tout démontre, l'ensemble des
ouvrages l'était aussi.
En résumé, nous ne saurons jamais leur destination réelle, et les
doutes planeront toujours sur leur véritable attribution.
(3) Dans la Provence illustrée (n° 5, 18 décembre 1880) il est
dit " que l'ancienne Glanum des Saliens est située plus haut, au
pied de la montagne et assez proche des monuments antiques romains ".
Papon, d'après Ménard, s'exprime ainsi : " Il existait à une
demie lieue de Saint-Remy, en tirant vers le sud-sud-est, une ville
nommée Glanum Livii. Elle fut bâtie par les Romains, partie sur le
penchant d'un coteau, partie dans la plaine ". Bouche ne fait que
penser " que c'était·une ville très grande et très célèbre.
"
Il semblerait donc que Glanum a dû s'étendre dans ces ravins pour
s'étaler sur le versant qui conduit aux Antiques.
La description fidèle que je viens de vous faire ne saurait être
complète, si elle n'était accompagnée de belles photographies que je
dois à l'obligeante et gracieuse initiative de deux de mes collègues,
MM. Carlos Braün et Schaedelin, que je suis heureux de remercier ici.
Malgré un vent violent qui soufflait en tempête, le 19 juin 1885, jour
où ils voulurent bien me seconder en se rendant sur les lieux, il leur
fut possible de relever les saisissants points de vue de cette gorge qui
ajoutent à l'intérêt de cette étude. Leur concours inépuisable et
désintéressé dans cette circonstance, comme dans bien d'autres que je
ne saurais oublier, a droit à toute ma reconnaissance.
La photographie n° 1 est une vue d'ensemble à l'entrée de la gorge,
prise dans le vallon de la Baume, où était le grand réservoir ; elle
montre sur la droite les grandes rainures qui rampent sur la paroi du
rocher.
La photographie n° 2 montre le flanc droit avec les mêmes rainures
prises très près.
La photographie n° 3 est une vue d'ensemble à la sortie du passage
tortueux du torrent. On distingue à mi-coteau la tranchée O P, portant
la cuvette qui débouche à droite et vient se perdre à gauche dans les
éboulis sur toute la largeur de l'épreuve,
Quelques gradins du groupe N se voient en dessous. Tous ces ouvrages sont
teintés en jaune pour les faire mieux ressortir.
Enfin, la photographie n° 4, laisse voir les grandes rainures des
planches 1 et 2, et en plus, la belle excavation naturelle, à droite, un
abri sous roche remarquable. Sans avoir les dimensions de celui de Buoux,
dans la vallée de l'Aigues brun, de celui des bords de l'Ouvèze, à
l'amont du Pont romain d'Entrechaux, il n'en résulte pas moins une
conformité de moeurs et d'habitudes qui ne peut échapper à notre
attention ; ils sont tous au bord des rivières ou ruisseaux bien
exposés, de là leur choix comme refuge par les hommes de cette époque,
Des fouilles seraient à faire sur ce nouveau point, aussi bien là que
dans les autres grottes qui se montrent aux environs.
Dans l'une d'elles, des poteries romaines se montrent au début, c'était
à prévoir, mais il faudrait approfondir ces fouilles premières pour
arriver à la véritable couche préhistorique, qu'on ne peut manquer de
rencontrer sur ces lieux.
Aujourd'hui, au milieu du silence qui environne ces solitudes,
l'archéologue ne peut qu'admirer les nombreux débris qui l'entourent et
dont le sol est parsemé, signes certains de l'animation de jadis, où les
échos répercutaient les bruits étranges du ravin des Piroulets.
- Avignon, le 27 septembre 1888.
-
-
- H. Nico
LAs.
Un incident imprévu et de force majeure ayant interrompu la gravure
des planches qui devaient accompagner le mémoire de M. Nicolas, elles
seront jointes au 4e fascicule de 1888.
Malgré cette note ces planches et photographies ne furent jamais
publiées, et sont restées introuvables dans les archives de
l'Académie de Vaucluse.