LE BARRAGE ET L'AQUEDUC ROMAINS
 
DE SAINT-RÉMY DE PROVENCE
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La petite ville de Glanum (Saint-Rémy), établie sur la pente nord des Alpilles, au carrefour de deux vallons qui pénètrent profondément dans la montagne et dont le plus important sera utilisé par la route de Maussane, eut à se préoccuper de la question si importante en Provence de l'alimentation en eau et de la régularisation du régime très variable des sources. Le massif montagneux des Alpilles, qui s'étend au nord-ouest d'Arles, constituait un véritable " château d'eau " dont cette colonie (capta de bonne heure les sources par les aqueducs de Barbegal et d'Arles : les vestiges de l'aqueduc d'Arles qui entourent les Alpilles depuis Mollégès jusqu'à Fontvieille sont encore aujourd'hui, par leur importance et leur conservation, un des monuments les plus intéressants de l'hydraulique romaine 1. A Saint-Rémy, les travaux d'adduction d'eau présentent, avec un moindre développement, un remarquable exemple d'ingéniosité. L'emplacement de la ville grecque, puis romaine, à une certaine altitude au-dessus de la plaine, alors marécageuse, où est établie la ville actuelle, obligea les habitants à capter les eaux des vallons des Alpilles en pleine montagne, avant leur écoulement dans la partie basse du pays, à un niveau qui fût assez élevé pour qu'elles pussent être conduites dans la partie haute de la ville. L'aqueduc ou les aqueducs de Saint-Rémy répondaient donc à une conception très originale et toute différente de celle qui a présidé à l'alimentation en eau de la colonie d'Arles. Le problème qui se posait à Saint-Rémv était, avant tout, un problème d'organisation de barrages en pays de montagne. Le système n'a d'analogues que dans les travaux d'hydraulique de l'Afrique du Nord 2.
 
 
 
1. L.-A. Constans a étudié cet aqueduc dans son Arles antique, 1921, p. 383 et 390.
2. S. Gsell signale des bassins de captage avec conduites le plus souvent souterraines : Les monuments antiques de l'Algérie, 1901, t. 1, p. 247, et son Enquête administrative sur les travaux hydrauliques anciens, 1902.

 

 

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Les vestiges des barrages de Saint-Rémv n'avaient pas échappé aux archéologues des siècles derniers, qui avaient pu en relever les traces d'autant plus facilement que n'existaient encore ni la route de Maussane, construite en remblai dans le vallon le plus proche de Glanum, ni le barrage du " vallon de la Baume ", élevé en 1891. Les auteurs de la Statistique du département des Bouches-du-Rhône, en 1824, signalent, en effet, "des digues élevées en travers des vallons supérieurs pour retenir les eaux et les diriger sur la ville par des aqueducs 1 ", et la Notice envoyée en l'an X par la municipalité de Saint-Rémy au Bureau de statistique du département précise qu'il existait, " à l'entrée du vallon de la Beaume, les restes d'un aqueduc très élevé que les Romains avaient construit pour conduire à Glanum les eaux qu'on arrêtait par des murs parallèles et transversaux enchâssés dans des rainures qui existent encore 2 ". Cet aqueduc très élevé n'est autre que celui dont Esprit Calvet, correspondant de Caylus, lui avait envoyé en 1765, l'année même de sa mort, une description très précise, avec plans et coupes, qui ne put être insérée dans le Supplément de son Recueil d'antiquités, paru en 1767 3. Conservée dans les manuscrits de Calvet à la Bibliothèque de Marseille, elle apporte une documentation inédite sur les parties aujourd'hui disparues du barrage : le réservoir formé par le vallon de la Baume et son mode de fermeture, qui ont été recouverts par les travaux de 1891.
Grâce à l'obligeance et aux patientes recherches de MM. P. de Brun, H. Rolland et du docteur Leroy. de Saint-Rémy, nous avons pu reconnaître les vestiges des traces de barrages analogues qui fer-        
 
 
 
1. T. 11, p. 311 et 1136.
2. P. Véran, -Notes historiques sur Arles et Marseille, bibl. d'Arles, ms. 541, p. 601. Cf. abbé Paulet, Saint-Rémy-de-Provence, 1907, p. 9, etc.
3. Le t. VII du Recueil d'antiquités (p. 256 à 267), paru après la mort de Caylus, contient plusieurs notices sur Saint-Rémy envoyées par Calvet, érudit qui avait rassemblé dans son hôtel d'Avignon une collection célèbre d'antiquités et une très riche bibliothèque. Esprit Calvet avait adressé au comte de Caylus en 1763 et précisé sur sa demande et d'après ses conseils en 1765 la description de l' " écluse " de Saint-Rémy. L'activité archéologique de Calvet, qui ne cessa d'envoyer à son correspondant des documents pour son ouvrage, en particulier sur Saint-Rémy, était fort appréciée du comte de Caylus, qui l'en remercia à maintes reprises, jusqu'au 1er mai 1765, à la veille de sa mort ; il lui écrivit pour l'exhorter à faire un livre sur Glanum, non seulement, disait-il, parce qu'il le voyait " bien chaudement et d'une façon lumineuse, mais à cause que l'Académie n'en a jamais entendu parler que par une triste et monotone dissertation de votre Ménard, qui même n'a pas dit un mot de l'étang ". Et il l'assurait que " l'écluse de Saint-Rémy sera une des affaires d'antiquité, disait-il, dont je serai le plus satisfait. " La correspondance de Caylus relative à l'écluse, et qui contient en outre de précieux renseignements sur Saint-Rémy, est conservée à la bibl. d'Avignon : ms. Calvet, 2366, fol., 68 (lettre du 21 mars 1763) ; fol. 94. (7 octobre) ; fol. 123 (12 mai 1764) ; fol. 145 (2 mars 1765), et fol. 153 (1er, mai) ; à la bibl. de Nîmes, lettres de Calvet à Séguier, 1765 et 1766, ms. 140, fol. 36 et 59 v°.
 
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maient les vallons voisins de Glanum et avoir d'utiles renseignements sur la topographie du pays. Les nombreux vallons qui s'échelonnent depuis le vallon Saint-Clerg, à l'est de la ville romaine, jusqu'à celui du mas du Rouge, à l'ouest, portent la trace d'aménagements avec murs et encoches ou embrasures analogues à celles du vallon de la Baume ; profondément découpé en vallonnements rocheux au fond desquels coulent des ruisseaux, le versant nord des Alpilles fut remarquablement équipé et ses sources canalisées soit pour l'irrigation des terres, soit pour l'alimentation de Glanum ou de villa assises au pied de la montagne. Le vallon de Saint-Clerg, au sud-est de Glanum, alimente encore aujourd'hui en eau l'établissement de Saint-Paul-de-Mausole, bâti à l'emplacement de la ville romaine ; plus à l'ouest, la gorge de la route de Maussane présente, sur sa paroi occidentale, une embrasure qui semble être la trace d'un barrage servant à arrêter les eaux descendant du vallon de Saint-Étienne (Notre-Dame-de-Laval) ; à l'ouest du barrage de la Baume et au levant du mas du Roi-des-Rois, un caniveau de pierre taillée en forme de rigole très profonde (0 m 25 de hauteur sur 0 m 18 de largeur) a été découvert par M. H. Rolland dans la sablière proche du cimetière des Juifs 1 : orienté est-ouest, c'est-à-dire parallèlement à la chaîne des Alpilles, il était en direction du mausolée de Saint-Rémy ; mais l'on ne peut savoir, étant donné la longueur réduite sur laquelle il a été reconnu (42 mètres), s'il s'agit d'un aqueduc de la ville, ce qui paraît probable, ou d'une conduite d'eau alimentant une villa ; plus à l'ouest encore, le vallon de Berne présente à son entrée nord deux profondes embrasures, larges de 2 m 50 environ, qui recevaient certainement les extrémités d'un mur de clôture formant barrage, peut-être pour l'irrigation des terres cultivables qui s'étendent au pied de la montagne 2.
Le vallon de la Baume – ainsi l'appellerons-nous conformément à l'appellation de la Notice de l'an X – est le seul à présenter un ensemble de travaux comportant un barrage et un canal pour l'ad-          
 
1. Trois tronçons de ce canal sont conservés au Musée des Alpilles : ils portent, le premier et le troisième, sur la tranche latérale, et le second, sur la tranche supérieure, les marques AI, K et PIK, profondément gravées ; des marques de tâcherons grecques se rencontrent à Arles dans le cryptoportique du Forum, datant de l'époque d'Auguste; la date de ce canal peut donc être reportée à l'époque romaine : P. de Brun, Glano près Saint-Rémy (extr. de Provincia , 1932, p. 13, avec fig.) ; V. et H. Rolland, Les inscriptions préromaines du Musée des Alpilles (extr. des Cahiers d'archéologie et d'histoire, 1933, p. 2).
2. Le mas de Berne a donné de la poterie romaine et deux moyens bronzes d'Hadrien et de Trajan (H. Rolland) ; à la jonction de ce vallon et de celui de la Verdière, M. H. Rolland a découvert un site gallo-grec et gallo-romain d'une certaine richesse.
 
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duction d'eau. La disposition naturelle du site se prêtait admirablement à un projet hardi qui consistait à élever le niveau d'eau à une hauteur suffisante pour l'amener jusqu'à Glanum 1, et c'est cela qui avait frappé Esprit Calvet et qu'il donnait en exemple aux édiles de Saint-Rémy. Le site était d'ailleurs bien choisi, puisque le mur du barrage de 1891 s'élève au même emplacement ; mais, alors que l'orifice de sortie de l'eau est aujourd'hui à la base du barrage, il était, à l'époque romaine, à 6 mètres environ du fond du vallon (aujourd'hui considérablement colmaté). L'étroitesse de la gorge, qui se rétrécit jusqu'à 4 ou 5 mètres à la naissance du vallon, permit aux ingénieurs romains d'exécuter ce travail remarquable. Le barrage, d'après Calvet, s'élevait à dix pas environ en amont de l'étranglement : ainsi, note-t-il, il avait d'autant plus de force pour résister à la pression des eaux, la concavité naturelle des parois du réservoir subissant une partie de la poussée. Actuellement, le mur moderne, beaucoup plus élevé, évidemment, que la construction romaine, forme un demi-cercle dont la convexité est intérieure, pour résister à la pression des eaux : et il semble bien, si le croquis de Calvet est exact, que pareille disposition ait été adoptée par les ingénieurs romains 2.
Le système de clôture du réservoir comportait une triple muraille : en aval, se voyaient les arrachements de deux murs se faisant face; un peu en amont, une double embrasure creusée dans le roc, suivant la pente de celui-ci sur une certaine hauteur 3. Ces trois murailles étaient distantes l'une de l'autre de 4 pieds 6 pouces d'un côté et 5 pieds de l'autre, soit 1 m 50 à 1 m 65, et mesuraient chacune 3 et 4 pieds de largeur, soit 1 mètre et 1 m 32, la plus large étant celle qui était le plus près du réservoir. De telles embrasures avaient pour rôle, ici comme au vallon de Berne, d'insérer solidement un mur qui fît corps avec le rocher; en raison de la grande hauteur du barrage de la Baume, le mur était double, et sans doute l'intervalle était-il rempli de pierraille et de terre battue, qui formaient une masse compacte. Une écluse pour le vidage du bassin était vraisemblablement prévue à la base du réservoir, d'autant plus utile que la masse d'eau, sise sous l'orifice du canal, était sans écoulement.
 
 
1. Les dépôts du réservoir romain, étudiés avant la construction du nouveau bassin par H. Nicolas, prouvent qu'il fut en usage pendant une longue période : Géologie des environs de Saint-Rémy, dans Mém. de l'Académie de Vaucluse, 1888, p. 213.
2. C'était le mode de construction du barrage de Kasrin, en Tunisie : Cagnat et Chapot, Manuel d'arch. romaine, I, p. 93, fig.
3. Calvet donne un croquis de la première embrasure sans en noter la hauteur, pl. 4.
 
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Le mur signalé par Calvet en avant de cette double embrasure appartenait soit à un contrefort, soit à un travail antérieur qui fut abandonné par la suite lorsqu'on construisit plus solidement le barrage.
L'établissement du canal d'adduction d'eau paraît, en effet, correspondre à deux campagnes. Calvet avait très soigneusement noté que le rocher était entaillé, à 6 mètres environ du fond du vallon, pour livrer passage à ce qu'il pensait être le canal lui-même ; on le suit, en effet, sur la paroi orientale de la gorge; il disparaît pour reparaître, après un vallon planté de vignes, sur la croupe immé-diatement suivante à l'est, en deux points, à la hauteur du petit sentier de montagne; on perd sa trace jusqu'à Glanum, situé à quelque 200 mètres de là, à l'est. La taille irrégulière de la pente ro-      

Cl. de l'auteur
 
CANAL TAILLÉ DANS LE ROC
POUR LA CONDUITE DES EAUX DU BARRAGE.
Vue du canal (AA), avec deux des dernières entailles (EE), à 1a. sortie nord de la gorge – Le réservoir visible dans la photographie ne constitue que le bassin inférieur du barrage de 1891, qui a été construit à la partie sud de la gorge (en DD). Il cache quelques-unes des entailles signalées par CaIvet.
 
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cheuse et sa diversité de coupe ne permettent pas d'y voir un canal, mais bien plutôt la plate-forme supportant une conduite de poterie, ou plutôt de plomb, comme nous le verrons tout à l'heure. En effet, large à peinte de 0 m 25 dans la gorge et muni d'un rebord, ménagé lors de sa taille dans la paroi verticale du rocher (en vue certainement de maintenir la conduite), il ne possède, en général, plus de rebord dans les parties de pente rocheuse moins abrupte et se présente comme une simple plate-forme faite pour supporter un canal; l'absence de toute trace de béton dans les failles et l'étroitesse même du conduit ne permettent pas de penser à un radier bâti 1.
En outre, le canal est doublé, dans la première partie de son trajet, dans la gorge, par une succession d'entailles creusées dans le roc, à une distance assez régulière, mais à des niveaux différents; Calvet avait relevé soigneusement ces entailles, qui mesurent environ 0 m 60 de longueur et dont quelques-unes sont aujourd'hui au ras de l'eau qui occupe le fond de la gorge; il pensait qu'elles servaient à établir une galerie de bois " qui devoit régner le long du canal afin de le netoyer ". Mais si, dans la première partie du canal, elles sont en bordure de celui-ci (il ne pouvait en être autrement, la paroi de rocher étant presque verticale), elles s'en éloignent au sortir de la gorge, comme si le tracé des deux travaux était indépendant, et, par contre, au passage de la croupe voisine, elles sont exactement situées, dans une dépression, sous le tracé de l'aqueduc. Il apparaît donc que, dans la seconde partie de son trajet, elles ont servi à dresser des étais, de pierre ou de bois, servant à soutenir le canal, tandis que, dans la première partie, elles devaient avoir été utilisées pour supporter l'aqueduc, avant que fût entaillée la paroi du rocher, qui donnait à cette oeuvre une base plus solide. Il est donc possible que les étais encastrés dans ces encoches aient été de bois.
Le point d'arrivée de l'aqueduc à Saint-Rémy n'est pas visible ; il franchissait sans doute le vallon qui précède immédiatement la route de Maussane sur une construction de pierre assez élevée qui a totalement disparu, la construction de la route en remblai, il y a un siècle, ayant dû utiliser tous les vestiges de bâtisse des envi-rons.  Peut-être faut-il reconnaître cet aqueduc dans la description que fait, en 1784, le P. Dumont, antiquaire arlésien fort averti, de          
 
 
1. L'aqueduc de Saint-Jean-de-Gargier, (?) présente. une entaille analogue au pont des Tompines (Saint-Pons-de-Géménos).
 
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canaux qui se dirigeaient vers un édifice voisin du monument dégagé par les fouilles, situé immédiatement au sud des thermes, et naguère désigné sous le nom de temple de Silvain 1 : " A peu de distance, au levant d'hiver des deux monuments [arc et mausolée], on voit les substructions de deux côtés à angle droit d'un très grand et solide édifice carré, à grandes niches en saillie, rectangulaires et demi-circulaires [l'abside de l'ouest], en petites pierres parallélogrammes. Ces restes paroissent annoncer des thermes par leur plan et par les trois aqueducs qui, venant de la montagne, pénètrent dans un mur voisin à 17 ou 18 pieds l'un de l'autre (5 m 50 à 6 mètres) ; deux de ces conduits, qui pourraient être les branches de la même eau, ont chacun 11o10 [1l pouces 10 lignes] de hauteur et 13o de largeur; le troisième, enterré en plus grande partie, a 2 pieds 4o de largeur. La construction de ce mur est semblable à celle des thermes et pourrait en être le réservoir, qui selon l'usage se mettait en dehors, pour rie pas occuper inutilement une place dans l'édifice, dont les souterrains étaient destinés aux bains et le dessus aux exercices de l'esprit et du corps 2. "
Ainsi le P. Dumont parait-il signaler un bâtiment aujourd'hui disparu, situé au sud-ouest des thermes, à l'emplacement de la route, dont l'appareil était semblable à celui de l'édifice à abside, et dont il fait une dépendance des thermes; il est intéressant de noter qu'il situait assez exactement ceux-ci, qui étaient alors invisibles, puisque leurs murs sont arasés à un niveau inférieur au talus. L'identification de ce bâtiment avec un réservoir est d'autant plus à retenir que c'est précisément à l'angle sud-ouest des thermes que M. de Brun a découvert, en dégageant ceux-ci, des fragments de tuyaux de plomb soudés entre eux et, par conséquent, en place, dans une direction qui est celle du point d'arrivée présumé de l'aqueduc de la Baume et du réservoir du P. Dumont. De petit dia-mètre (0 m 042 sur 0 m 030 environ d'ouverture intérieure), mais fort épais, ce qui est un indice de leur ancienneté, trois d'entre eux portent la marque de MARTIALIS, en beaux caractères inscrits dans un cartouche 3, qui paraît être du 1er siècle. Ce seraient donc là des dérivations d'un aqueduc plus important dont le déblaiement des            
 
 
 
1. On trouvera le plan de cet édifice et celui des Thermes qui sont adossés à sa face nord, dégagés depuis peu, sous. 1a direction de M. J. Formigê, dans H. Rolland, Saint-Rémy, Bergerac, 1934, p. 63 et 69.
2. P. Dumont, Notes manuscrites, bibl. d'Arles, ms. 601, IV, 183. Cf. F. Benoit, Le P. Dumont, dans Mém. de l'Institut histor. de Proveme, 1934, p. 104.
3. T. F. MART. F. et MARTIAL. FEC.
 
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terrains de part et d'autre de la route ferait peut-être retrouver les vestiges, avec quelque reste du réservoir.
La découverte de ces tuyaux permet, en outre, de penser que le conduit qui amenait les eaux du barrage à travers la montagne était constitué par des tuyaux de plomb, d'un diamètre plus grand, analogues à ceux qui ont été trouvés en Arles et dans le lit du Rhône (aqueduc de Trinquetaille) 1 ; on sait que de telles conduites étaient fréquentes pour l'alimentation en eau des villes romaines de Provence 2 . Le diamètre de ceux d'Arles, qui n'excède pas 0 m 20 aux renflements des points de soudure, correspond bien à la largeur du caniveau taillé dans le roc, et c'est, au reste, la seule solution que permette d'envisager le tracé sinueux de la plate-forme, que n'aurait pu épouser un canal rigide formé de tuyaux de terre cuite.
L'aqueduc et le barrage de Saint-Rémy, qui, nous l'avons vu, n'était pas unique, constituent donc une oeuvre importante de l'hydraulique romaine en Provence. Leur signalement a d'autant plus d'intérêt qu'une fois encore on remarquera que les ingénieurs modernes, selon l'observation d'Adrien Blanchet 3, n'ont eu qu'à relever les murs du barrage ancien pour alimenter en eau la ville de Saint-Rémy.
 
Fernand BENOIT.
 
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DESCRIPTION DE, L'ÉCLUSE ANTIQUE DE SAINT-RÉMY
PAR ESPRIT CALVET (1765) 4
 
... Ces montagnes s'ouvrent du côté de l'ancien Glanum par une gorge extrêmement étroite qui s'élargit un peu à mesure qu'on avance vers l'ancien lac. Les Romains sceurent profiter admirablement de ce que leur offre la nature pour se procurer les plus grands avantages. Je vous avoue que je ne les ay jamais trouvés plus grands que dans ce travail. A l'entrée de la gorge des montagnes, du côté de l'étang, on voit de chaque côté deux embrasures taillées dans le roc pour soutenir deux martelières l'une devant l'autre ; contre les deux embrasures les plus éloignées de l'étang est un reste de bâtisse antique qui soutenait la se-conde martelière ; cette bâtisse se distingue à peine du rocher. Les pre-   
 
1. Les conduits arlésiens ont un diamètre intérieur de 100 mm .sur 80 environ, en profil d'amande, comme ceux de Saint-Rémy.
2. Corpus, XII, 5701. La marque de Saint-Rémy est inédite.
3. Recherches sur les aqueducs et les cloaques de 1a Gaule romaine, p. 1 et suiv.
4. Description " adressée au comte de Caylus qui se proposoit d'en faire usage, lorsque la mort 1e prévint " : bibl. de Marseille, Recueil de Calvet, t. II, ms. 1505 (Fb. 3), fol. 363 à 366,
avec 4 croquis et légende explicative.
 
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mières embrasures sont un peu avant la partie étroite de la gorge ; par ce moyen la martelière était encore soutenue par le rocher postérieur.
Le long de la montagne, du côté gauche en regardant l'étang, est un canal taillé dans le roc à la hauteur d'environ 3 toises ; quand, au moyen des martelières fermées, les eaux de l'étang étaient montées à cette hauteur, elles tomboient nécessairement dans ce canal d'où elles étoient portées dans la ville. La profondeur du canal dans les endroits conservés est d'un pied ; sa largeur est de 10 pouces en haut et 6 pouces au fond. De distance en distance du côté du canal et non de l'autre côté, on voit des trous quarrés taillés dans le roc de 3 pieds de large ; ils sont tous au-dessous du canal; ces trous me paroissent avoir été faits pour soutenir une galerie de bois qui devait régner le long du canal afin de pouvoir le netoyer.
L'embrasure pour la martelière du côté de l'étang a 4 pieds de large la seconde embrasure a 3 pieds ; l'intervalle entre les deux embrasures du même côté est de 4 pieds 6 pouces et dans d'autres endroits de 5 pieds. La gorge se rétrécit à 10 pas ou environ de la martelière. Le long de cette gorge coulent encore 2 ou 3 petites fontaines ; pour y passer on est obligé de se cramponner sur le rocher avec de grands risques ; il y en a plus encore à monter dans le canal ; l'amour de l'antiquité donne des ailes.
Voilà les ouvrages romains que l'on voit encore de ce côté-là ; ils sont près du tombeau et de l'arc de triomphe.
Par le moyen de ces martelières, les Romains retenaient les eaux et formoient un vaste étang dans l'endroit où sont à présent de mauvaises terres mal cultivées. Il leur en résultoit de grands avantages :
1° Ils distribuoient à volonté des eaux abondantes dans leur ville, principalement pour laver ;
2° Ils avoient du poisson en abondance ;
3° Ils se garantissoient des torrens qui tombent de ces montagnes et qui dévastent aujourd'hui le territoire de Saint-Rémy.
Il n'en coûteroit pas deux mille écus pour remettre les choses dans l'ancien état. Je l'ay dit et répété aux chefs du païs ; ils n'y veulent, rien entendre.