Le Centenaire du Barrage des Peiròu
 
 
Grâce à l'amabilité de M. Marcel Bonnet, nous pouvons reproduire ici un article très concis, mais combien précieux, d'Edouard Marrel sur la réalisation du barrage des Peiroou:
 
 
 
LE PETIT MARSEILLAIS
 
 
vendredi 9 octobre 1891
 
Saint Remy – Mercredi, dans l'après-midi, en présence de la municipalité, a été posée la dernière pierre du couronnement du barrage des Piròu, destiné à l'alimentation des fontaines de la ville. Cet ouvrage est le complément de la canalisation exécutée en 1884.
 
 
 
Cette inauguration a donc eu lieu le 7 octobre 1891.
 
 
 
Il n'est nul besoin de faire de longues recherches pour connaitre l'année de construction du barrage des Peiròu. Elle figure en effet, taillée dans la pierre, à la base de l'édifice, entre les deux vannes d'évacuation des eaux, et elle figure aussi sur le panneau installé par l'Office du Tourisme, à l'autre extrémité de la retenue du barrage, et où l'on y trouve en même temps les principales caractéristiques :
 
BARRAGE DES PEIROOU
Edifié en 1891
 
CARACTERISTIQUES : Altitude 130 m. Hauteur
19 m. Développement 22 m. Largeur : à la base
7 m en crête 1 m. Capacité 80 000 m3. Barrage
poids à crête déversante.
 
La date est encore imprécise, mais M. Marcel Bonnet lors de la réunion de septembre de l'Escolo dis Aupiho, nous a exhumé un entre-filet du PETIT MARSEILLAIS, dû à la plume d'Edouard Marrel, que nous avons reproduit sur la page de titre de notre article, et qui permet de dater avec précision la pose de la dernière pierre du barrage le mercredi 7 octobre 1891 !
Et, précision supplémentaire, Edouard Marrel, indique que cette construction fait suite à celle de la canalisation exécutée en 1884.
 
En fait, il nous faut remonter un peu plus loin, car tout commença lors de la séance du Conseil du 09-08-1881, présidée par M. Emile Daillan, Maire de Saint Remy de Provence et Conseiller Général des Bouches du Rhône, dont le procès-verbal (D87, p.232) relate ce qui suit :
 
" M. Elie Millaud, premier adjoint, demande la parole, et, l'ayant obtenue, il s'exprime en ces termes :
 
Messieurs, l'administration aujourd'hui doit s'occuper, s'inquiéter, pourrais-je dire, de la situation des eaux et fontaines. Il y a 15 à 16 ans, une somme de 30 000 francs fut allouée à notre ville, pour travaux d'adduction d'eau potable et construction d'un lavoir public. Ces fonds, nous regrettons d'être obligé de l'avouer, ne furent pas employés avec intelligence et discernement; les travaux qui furent exécutés ne donnèrent qu'un résultat peu satisfaisant. Aujourd'hui, grâce au temps et au défaut d'entretien suffisant, notre ville a beaucoup moins d'eau qu'avant l'emploi de la subvention. Si nous n'y prenons garde, le volume s'amoindrira peu à peu jusqu'à un tel point, qu'elle ne sera plus suffisante à l'alimentation. Ainsi, lorsque le Canal des Alpines n'apporte plus son contingent d'infiltration, comme c'est actuellement le cas, le débit de nos fontaines décroit dans des proportions inquiétantes : l'hospice a manqué d'eau plusieurs fois l'année dernière; nous avons dû en faire porter des tonneaux à l'abattoir, qu'il était, sans cette mesure, impossible de maintenir dans un état de propreté conforme aux prescriptions de l'hygiène. Le lavoir public et la plupart de nos bornes-fontaines ne sont pas alimentés ; le bassin de la Place d'Armes, principale promenade de notre ville, est dans les mêmes conditions. Il est donc urgent que des travaux de réparations importants soient faits, tant aux sources, pour utiliser tout leur volume, que sur le parcours des conduits, pour remédier aux déperditions. "
 
Puis il ajouta :
 
" Vous savez, Messieurs, que nos ressources financières ne nous permettent pas d'entreprendre la construction de ces travaux, qui entrainerait des dépenses assez considérables ; il ne nous reste qu'à nous adresser au Conseil Général, pour lui demander sur les fonds départementaux une allocation de 2 000 francs, qui seront, je crois, indispensables pour commencer les études, et, une fois ces études terminées, les plans soumis à la commission des travaux publics et approuvés, notre honorable maire, au sein du Conseil Général, saura bien obtenir que notre demande de fonds soit prise en considération par cette assemblée ......"
 
Le Conseil municipal délibèra aussitôt et vota une somme de 500 francs, à prendre sur ses ressources ordinaires, pour participer à la dépense et pria M. le Préfet des B.-du-R. de vouloir bien intercéder en faveur de la commune, afin de lui faire obtenir une subvention de 1 500 francs.
 
Le Conseil Général n'accorda qu'une subvention de 1 000 francs le 12 septembre suivant (1881). Cette somme, réglée tardivement, ne put être utilisée à cet usage et les frais d'avant-projet et projet furent payés sur les 500 francs de la commune.
 
La discussion du projet figura à l'ordre du jour de quatre réunions du Conseil en mai, août décembre 1882 et août 1883 (D87, pp.277, 298, 312 et 365). Il y fut successivement confié à M. François Livon, conducteur des Ponts et Chaussées à Saint Remy, puis aux Ingénieurs des Ponts et Chaussées de l'arrondissement.
 
Le projet définitif fut présenté dans la séance du 26-08-1883. Divisé en 3 parties, il comportait :
 
1° – Captation du complément d'eau potable nécessaire aux besoins de la commune de Saint Remy (Barrage des Piròu)
2° – Adduction de ce contingent complémentaire en tête du système actuel de captation
3° – Distribution de ce contingent entre les trois sections de canalisation dépendant des trois galeries de captation existantes
 
Total francs
 
 
10 400
 
10 600
 
2 000
–––––
23 000
 
 
Prié de délibérer sur l'adoption du projet et de voter les voies et moyens nécessaires, le Conseil municipal prit les décisions suivantes :
" 1° – Adopte l'ensemble dudit projet et considérant que l'adduction & la distribution des eaux forment la partie la plus importante des travaux ; délibère qu'il y a lieu d'ajourner l'exécution de la première partie (Barrage des Piròu) qui demeure adoptée dans son principe ;
2° – Relativement aux voies et moyens, attendu que la ville n'est pas en état de supporter la totalité de la dépense présumée (12 600 francs) à cause de sa situation financière ; délibère que 4 382 francs 17 centimes seront à la charge de la commune .....
Pour le surplus, soit 8 217 francs 83 centimes, prie le Conseil Général du département des Bouches-du-Rhône de vouloir bien accorder à la commune une subvention de pareille somme. "
La subvention fut obtenue et inscrite au budget dans la séance du 30-05-1884 (D88, p.43). Entre temps, les travaux avaient été adjugés à Simon Mauron, Me maçon, le 27-02-1884 (D83, N°33) mais les terrains nécessaires au passage de l'aqueduc ne furent acquis que le 11-08-1884, par actes de cession amiable (D83, N°34, 35 et 36).
Un plan (ci-joint) montre le tracé de l'aqueduc et de la galerie de captation qui monte jusqu'à l'entrée de la gorge des Peiròu. Cette galerie est encore visible avec ses regards.
Les vendeurs étaient Jean et Catherine Vidau, Rose Ayme et Pierre-Hippolyte Gros, et Jean Lillamand.
L'aqueduc ne fut pas terminé en 1884 et l'on dut reporter à 1885 (séance du conseil du 03-02-1885, D88, p.83) les sommes non utilisées en 1884, savoir :
2 361,11 francs sur les 9 217,83 francs de la subvention départementale et 3 572,17 francs sur les 3 626,17 francs votés par la commune,
" afin (dit le procès-verbal de la séance) que les dépenses puissent être ordonnancées au fur et à mesure de l'exécution des travaux. "
Le restant des travaux fut rapidement exécuté puisque dans la séance du Conseil du 10-03-1885 (D88, p.93), qui mérite d'être citée intégralement:
" M. le maire-président (Emile Daillan) expose au Conseil que les travaux d'adduction d'eau potable dans les fontaines publiques de la ville viennent d'être terminés et ont produit un heureux résultat. Il lui soumet ensuite le projet de captation du complément d'eau nécessaire (Barrage de la gorge des Piròu). Il rappelle la délibération du 26-08-1883, par laquelle le Conseil adoptant en principe le projet de construction du barrage, en ajournait l'exécution comme étant d'une utilité moins immédiate, quoique aussi reconnue. Le devis, ajoute M. le maire, s'élève à la somme de 10 400 francs. Veuillez Messieurs, délibérer sur la question de savoir s'il y a lieu d'exécuter ou d'ajourner le projet, et dans le premier cas, voter les voies et moyens nécessaires pour faire face à la dépense.
Le Conseil municipal, ouï M. le Maire-président, vu les plans et devis dressés par Messieurs les Ingénieurs des Ponts et Chaussées, vu la délibération du 26-08-1883, considérant que l'exécution du projet qui lui est soumis est le complément indispensable de la partie terminée ; considérant qu'elle est d'une utilité générale évidente, pour plusieurs raisons, dont les principales sont les suivantes :
1° – d'assurer l'alimentation des fontaines publiques pendant la saison d'été, but qui ne peut être atteint qu'imparfaitement par la construction de la conduite, ainsi que l'ont d'ailleurs prévu les auteurs du projet ;
2° – de retenir dans la gorge des Piròu les eaux pluviales qui se précipitent avec impétuosité dans le ravin de Jonquerolles, rongent sur tout leur parcours les terres riveraines (à tel point qu'aujourd'hui la largeur du lit de ce ravin excède cent mètres à certains endroits) et constituent pour les propriétaires et les fermiers une menace continuelle de dégradation, menace qui disparaitra complétement le jour où le barrage étant construit, le régime torrentiel du bassin de Jonquerolles sera régularisé ;
3° – de faire cesser le fâcheux état de choses qui résulte, pour l'association des Vidanges du Vigueyrat, de l'introduction dans ses canaux de desséchement, des eaux limoneuses et chargées de gravier, qu'amène le torrent de Jonquerolles en temps d'orage, et qui a pour effet d'obliger cette association à des curages fréquents et dispendieux.
Après mûre délibération :
1° –- décide qu'il y a lieu d'établir le barrage de la gorge des Piròu ;
2° – relativement au paiement, vote une somme de 5 200 francs, représentant la moitié de la dépense, à prévoir au budget de l'exercice 1886.
Pour le complément de la dépense, vu la situation budgétaire de la ville, qui ne lui permet pas de faire des sacrifices plus considérables, vu le caractère d'utilité générale que revêt le projet en question ; prie le gouvernement de vouloir bien intervenir dans la proportion de deux sixièmes, soit 3 466 francs 67 centimes, et le département des Bouches du Rhône dans la proportion du sixième, soit 1 733 francs 33 centimes. "
 
La dépense est un peu moins importante que pour la première tranche des travaux : 10 400 francs contre 12 600, mais les arguments relatifs aux inondations chroniques du gaudre des Piròu en temps d'orage ont leur poids vis à vis du Ministère de l'Agriculture qui est ainsi sollicité pour une subvention.
 
La méthode est avantageuse mais n'est pas sans inconvénients. Le ministère est sensible aux arguments et accordera la subvention demandée (qu'il arrondit à 3 500 francs) mais s'empare du projet et y ajoute son grain de sel.
 
Résultat : dans la séance du Conseil du 18-11-1886 (D88, p.199), le maire annonce :
 
"... le projet primitif, sur les instructions de Monsieur le Ministre de l'Agriculture, a été modifié par Messieurs les Ingénieurs ; le montant des travaux, y compris l'achat des terrains et une somme à valoir pour dépenses imprévues, s'élève à 16 500 francs. "
 
Le nouveau projet est néanmoins adopté, mais il faut faire face à l'exédent de dépense que comporte le devis, soit 6 100 francs.
" Aussi, le Conseil sollicite du Conseil Général du département des Bouches du Rhône, une subvention de 6 100 francs en vue de compléter la dépense reconnue nécessaire, que comporte l'exécution du projet qui vient de lui être soumis. "
 
Il n'en obtint que 3 500 francs !
 
Mais les malheurs ne viennent jamais seuls. Pour construire, il fallait être maître des lieux et des terres inondables par la retenue des eaux.
Cela nécessitait l'acquisition de 1 hectare, 79 ares, 89 centiares de terrain ou rocher, appartenant à la veuve Gros, née Deville, propriétaire domiciliée à Saint Remy. Elle refusait d'accepter l'offre, qualifiée de très raisonnable, qui lui avait été faite par la ville, d'une indemnité de 2 000 francs pour cette cession et en réclamait 10 000 francs.
Il fallait faire une expertise et recourir à l'expropriation. Tout cela demandait du temps, pendant lequel un nouveau Ministre de l'Agriculture supprima la subvention accordée par son prédécesseur en invoquant une diminution de crédits qui ne lui permettait pas de bloquer des fonds pour des travaux dont la date était incertaine.
Heureusement, il ne fermait pas la porte à une nouvelle demande étayée par une réalisation à court délai.
 
Finalement, devant la menace d'expropriation, la veuve Gros fit savoir au maire qu'elle transigeait pour 2 500 francs (séance du 01-04-1890, D88, p.389) et un acte de promesse de vente fut signé par devant Me Albert Blanc, notaire à Saint Remy le 08-04-1890.
 
Le Conseil pouvait alors renouveler dans sa séance du 27-05-1890, sa demande de subvention au Ministre de l'Agriculture et fixer ses ressources pour subvenir aux dépenses de la construction du barrage des Piròu de la façon suivante :
 
" La dépense, fixée par le projet à 16 500 francs, s'élèvera à 17 500 francs, par suite de la majoration du prix du terrain, qui, aux termes de la promesse de vente, est de 2 500 francs au lieu de 1 500 francs, chiffre prévu par les Ingénieurs.
Il y sera pourvu ainsi qu'il suit :
 
1° – Subvention sollicitée de l'Etat 3 500,00
2° – Subvention du département, accordée le 20-08-1885 1 733,33
3° – Subvention du département, accordée le 25-04-1887 3 500,00
4° – Contingent voté par la ville le 15-06-1886 3 000,00
5° – Contingent voté par la ville le 02-06-1887 2 166,67
6° – Contingent voté par la ville le 02-07-1889 2 600,00
–––––––
Total : 16 500,00
 
Le déficit, soit 1 000 francs, sera voté ultérieurement au budget municipal. "
 
La ville intervenait donc pour 8 766,67 francs et obtenait 8 733,33 francs de subvention pour un coût global de 17 500 francs.
La commune ne pouvait prendre possession des terrains que du jour où la promesse de vente serait transformée en acte définitif.
Cela n'eut lieu que le 18-10-1890, toujours devant Me Albert Blanc, car entre temps, la Dame Elisabeth Deville, héritière testamentaire de son feu mari Jean-Pierre Gros, avait vendu ses biens du vallon, dit de Gros, à Bruno Charrin, maréchal-ferrant, époux de sa nièce Antoinette-Elisabeth Deville. Et, ce furent donc les époux Charrin-Deville qui signèrent l'acte de vente avec le Maire, Emile Daillan. L'acte fut ratifié par le Conseil municipal dans sa séance du 12-02-1891 (D89, p.37) et la voie était enfin libre pour l'éxécution des travaux, qui durèrent, comme nous l'avons déjà vu, jusqu'au mercredi 7 octobre 1891, date de la pose de la dernière pierre.
 
Les travaux avaient pour maître d'œuvre le Service des Ponts et Chaussées d'Arles et avaient été adjugés au Sieur Paul Bertrand, entrepreneur. C'est sans doute la raison pour laquelle nous n'avons pu trouver ni plans ni devis du barrage dans les archives communales.
 
Cependant, tout n'était pas terminé. En effet, une lettre datée d'Arles, du 24-09-1891, et signée de l'Ingénieur des Ponts et Chaussées, fait part de sa gestion des travaux et des résultats obtenus qui se soldent par une économie de 2 676 francs 15 centimes, qu'il propose de dépenser :
"... d'une manière très profitable à la commune. "
Et il ajoute :
 
" Dans ce but, j'ai l'honneur de vous proposer de faire à l'entrée de la gorge des Piròu un second barrage analogue au premier, mais de 5 m.50 de hauteur seulement. Cet ouvrage supplémentaire aurait les avantages suivants :
1° – augmenter le cube de l'eau qu'il est possible d'emmagasiner;
2° – barrer l'entrée de la gorge et y empêcher le dépôt d'ordures pouvant contaminer les eaux;
3° – diminuer la distance à parcourir du barrage jusqu'à l'origine de la conduite d'adduction des eaux, distance sur laquelle les eaux courent dans le ruisseau, en plein air et sont exposées à être salies.
Je vous adresse ci-joint le projet d'exécution de ce second barrage avec une estimation égale aux fonds disponibles. J'espère que vous voudrez bien approuver ma proposition et je vous prie de vouloir bien, par une lettre et sans retard, nous autoriser à commencer les travaux que l'entrepreneur exécuterait immédiatement. "
Le Conseil municipal approuva le projet dans sa séance du 10-10-1891 (D89, p.80) et décida qu'il serait pourvu à la dépense au moyen de l'économie sur le montant du premier barrage et que les travaux seraient exécutés par l'adjudicataire du premier projet, le Sieur Paul Bertrand.
 
Le Petit Barrage, situé en aval du premier et au droit de la porte de fer qui ferme le chemin d'accès au grand barrage, fut donc construit à la suite par la même entreprise.
 
Enfin pour améliorer la qualité de l'eau alimentant les fontaines de la ville, il fut décidé dans la séance du Conseil du 02-11-1895 (D89, p.387) d'établir une masse filtrante de moëllons et gravier entre les 2 barrages.
L'ensemble des travaux avait coûté :
 
Etudes préliminaires 500,00
Première tranche (canalisations) 12 600,00
Barrage des Peiròu 17 500,00
Masse filtrante 1 700,00
––––––––
soit un total de 32 300,00 francs
 
couverts à plus de 55 % par les subventions du Conseil Général et de l'Etat.
 
 
Nous pourrions en rester là, après avoir retracé ainsi l'histoire et la genèse du barrage des Peiròu, non sans rendre hommage à Emile Daillan qui a su réaliser au cours de ses mandats successifs de ces 10 années (1881-1891) cet ouvrage qui fut si longtemps et reste encore utile aux Saint Remois. Il eut la joie de le voir se terminer et mourut l'année suivante en 1892.
Mais, si le barrage a son histoire que nous venons de relater, le site dans lequel il a été construit en a une, plus prestigieuse encore, qu'il convient de ne pas oublier.
 
Les noms successifs des lieux traversés par les eaux du barrage sont déjà évocateurs d'un passé lointain :
 
Le Vallon de Gros porte le nom d'une vieille famille Saint Rémoise, qui possédait déjà, au 17ème siècle, les terres et le mas du même nom situés en amont du barrage. On en trouve successivement propriétaires :
Louis Gros & Marie Fabre, Jean Gros & Catherine Giraudon, mariés en 1711, Louis Gros & Magdeleine Ferrier, mariés vers 1759, Joseph Gros & Anne Moulin et enfin Jean-Pierre Gros & Elisabeth Deville, mariés en 1853.
 
Le Vallon de la Baume est un autre nom du même vallon, dû à la présence d'une baume ou grotte située rive droite, à quelques dizaines de mètres en amont du barrage. Aujourd'hui elle est presque totalement submergée par les eaux.
L'entrée de ce vallon de Gros ou de la Baume a inspiré les artistes :
 
Esprit Calvet, le savant médecin avignonnais, ne pouvait s'empêcher d'écrire en 1765 en commentaire d'un dessin des lieux :
" C'est la vue de l'ancien étang en sortant de la gorge. Le jour est assez sombre dans cette gorge. Quand on en sort, on aperçoit brusquement la grande montagne. L'après-midi lorsqu'elle est éclairée par le soleil couchant, c'est une espèce de coup de théâtre. Je n'ai pas vu de spectacle plus frappant ni de plus majestueux. "
 
Marius Girard en fit un dessin avant la construction du barrage, publié par M. Marcel Bonnet en 1977 dans le programme des Fêtes du 1er Mai.
 
Frédéric George en prit une très belle photographie à la même époque (collection Marcel Bonnet, photo ci-jointe).
Enfin, un photographe anonyme prit, sous le même angle, une vue du site après la construction du barrage, et, semble-t-il, avant la mise en place de la masse filtrante, donc entre 1891 et 1895, et, en tous cas, avant le décès de Marius Girard (1906) qui la conserva dans ses collections (aujourd'hui dans le fonds du Musée des Alpilles-Pierre de Brun, voir photo ci-jointe).
La Gorge des Peiròu, en aval du barrage, a été creusée par les eaux dans les calcaires durs de l'urgonien qui forment la barrière nord de cette partie des Alpilles. Elle doit son nom aux peiròu ou chaudrons qui ont été creusés par le tourbillonnement des eaux chargées de sable et de galets. Esprit Calvet ajoute à son sujet :
 
" Excepté dans le fort de l'été, il y a toujours de l'eau dans la gorge, elle vient des fontaines qui sont dans le lieu même. "
 
En décembre 1889, Vincent Van Gogh a peint et restitué à nos yeux en deux magnifiques tableaux (catalogue de la Faille N°661 et 662) la sortie de la gorge avec ses peiròu dans le lit du torrent. Ce fut Jean Baltus, qui le premier identifia ce lieu peint par Van Gogh, grâce à la montagne du fond qui n'est autre que la falaise bordant la rive gauche de la gorge (voir photos).
 
Le Gaudre du Rougadou est le nom pris par le torrent dans la partie encore à forte pente qui le mène dans la plaine Saint Remoise. Cette dénomination provient certainement de la présence d'un rougadou ou oratoire qui se trouvait à proximité du gaudre.
 
– Enfin, le Gaudre de Jonquerolles en est la partie basse, lorsqu'il traverse le quartier du même nom, avant d'être récupéré par divers canaux qui le mènent au Vigueirat.
 
 
Mais, il nous faut remonter encore plus loin dans le passé, à l'époque de Glanum, pour retrouver les habitants du lieu dans les mêmes dispositions que les Saint Remois il y a 100 ans. En effet, ils construisaient un barrage et, à quelques mètres près, au même endroit !
 
Le premier témoignage qui nous en a été donné, est celui d'Esprit Calvet que nous avons déjà cité plus haut, et qui, outre ses talents de médecin, était passionné d'archéologie. Il était depuis de longues années en relation avec Anne Claude de Tubières, comte de Caylus, membre influent de l'Académie royale des Inscriptions, qu'il avait eu l'occasion de soigner et qui le fit nommer membre correspondant de cette Académie en 1763, à la suite de recherches qu'il lui avait confiées de dessins d'antiquités de Pierre Mignard, où figuraient, en particulier, les Antiques de Saint Remy.
Dans la nombreuse correspondance qu'échangèrent ces deux savants, le barrage romain des Peiròu est largement évoqué de 1763 à 1765.
Fernand Benoit en a déjà fait état en 1935 dans un article intitulé Le barrage et l'aqueduc romains de Saint Remy en Provence paru dans la revue des Etudes Anciennes (Tome 37, N°3, Juillet-Septembre 1935, p.331).
D'après Esprit Calvet, le barrage était ancré dans le rocher à l'aide de 2 larges entailles faites de chaque côté de la gorge. Celles d'amont avaient 3 pieds de large (environ 1 m.) et celles d'aval 4 pieds, l'intervalle entre les 2 entailles étant de 5 pieds.
 
Les rainures d'aval ont été presqu'entièrement recouvertes par la nouvelle construction et celles d'amont le sont par les eaux, ne laissant voir que le sommet de la rainure de la rive droite.
 
Un double système de canalisations, que l'on peut suivre sur quelques centaines de mètres conduisait les eaux vers Glanum.
Le premier forme un sentier à faible pente taillé dans le roc en suivant les sinuosités de la montagne. Par endroit il est taillé en auge, non pas pour le passage des eaux, mais plus probablement pour retenir des tuyaux de plomb.
Le second procède d'une autre technique. Des entailles ont été faites dans le roc pour servir de base à un aqueduc aérien. Parallèle au premier et le touchant presque, il s'en écarte seulement et d'une manière importante pour s'éloigner d'une face et d'un couloir d'éboulis, qui devaient endommager la première canalisation. Ils se rejoignent ensuite pour traverser (sans laisser de trace) un vallon et on les retrouve tous les deux sur l'ancien sentier qui menaient des fouilles de Glanum au barrage en s'élevant progressivement au-dessus de la gorge des Piròu.
 
L'absence de restes de mortier, aussi bien dans les rainures du site du barrage que dans les entailles de la canalisation, sema le doute parmi les archéologues.
En particulier, Isidore Gilles affirma dans son ouvrage Marius et Jules César - Leurs monuments dans la Gaule, paru en 1871 :
 
" Ce travail, à peine commencé lorsque Marius quitta le camp de Glanum, fut abandonné en l'état où nous le voyons, malgré l'affirmation contraire de quelques écrivains. " (M. de Lagoy, M. de Gasparin)
 
Mais vers 1885, Hector Nicolas étudia les fossiles des Alpilles et publia en 1888, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, le compte-rendu de ses travaux, où il indique:
 
" Mes incertitudes disparurent en étudiant un tout petit dépôt vaseux situé à quelques 20 mètres à l'amont des grandes rainures et à une hauteur suffisante pour résoudre la question.
Ce limon, bien au-dessus des eaux qui coullent encore sur le roc, contenait une foule de coquilles lacustres, telles que planorbes, limnés, physes et autres certainement qui vivent dans les eaux stagnantes ou à faible courant.
Cette découverte, pour si insignifiante qu'elle paraisse, ne vient pas moins confirmer l'existence d'une accumulation d'eau, où sont nées et où se sont développées les espèces de coquilles que j'ai rencontrées dans ces alluvions lentement formés en amont par l'élévation des eaux du ravin, et elles sont si caractéristiques qu'aujourd'hui, bien que le ruisseau ait son libre écoulement, on les chercherait en vain dans ce courant, contraire à leur habitat. "
L'argument était irréfutable, et Isidore Gilles, après l'avoir reconnu de façon peu claire en 1890 dans son article Glanum, Saint Remy de Provence, publié dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, disait franchement en 1897, dans son Pays d'Arles (Tome 2, p.343):
 
" Nous nous trompions ainsi que nous l'avons reconnu. "
 
Pour expliquer l'absence de mortier, Hector Nicolas émit l'hypothèse de constructions en bois pour la seconde canalisation, parfaitement plausible par la présence d'entailles dont les positions correspondraient à l'adjonction de contreforts dans des parties courbes de la construction.
Il donne la même explication pour le barrage lui-même qui aurait été constitué de deux murailles de troncs d'arbre engagés dans les rainures, avec bourrage de terre entre les deux.
Cela ne nous séduit guère et il vaudrait mieux rejoindre l'opinion de N. Schnitter Reinhardt qui, dans les Dossiers de l'Archéologie (N°38, Octobre-Novembre 1979), se basant, sans le citer sur les descriptions d'Esprit Calvet, concluait à l'existence d'un barrage voute nécessairement construit en pierre avec noyau intermédiaire de terre assurant l'étanchéité, ce qui nous semble plus logique pour la solidité de l'ouvrage.
 
Pour terminer et en fêtant, sans doute, le bimillénaire de l'ancêtre du barrage des Peiròu, rendons hommage à la claivoyance d'Esprit Calvet, qui ajoutait en terminant sa description adressée au Comte de Caylus:
 
"... il n'en coûterait pas deux mille écus pour remettre les choses dans l'ancien état. Je l'ay dit et répété aux chefs du pays, ils n'y veulent rien entendre. "