par Jean Delrieux, octobre 1991
p.7-8
Mais, il nous faut remonter encore plus loin dans le passé, à l'époque
de Glanum, pour retrouver les habitants du lieu dans les mêmes
dispositions que les Saint Remois il y a 100 ans. En effet, ils
construisaient un barrage et, à quelques mètres près, au même endroit
!
Le premier témoignage qui nous en a été donné, est celui d'Esprit
Calvet que nous avons déjà cité plus haut, et qui, outre ses talents de
médecin, était passionné d'archéologie. Il était depuis de longues
années en relation avec Anne Claude de Tubières, comte de Caylus, membre
influent de l'Académie royale des Inscriptions, qu'il avait eu l'occasion
de soigner et qui le fit nommer membre correspondant de cette Académie en
1763, à la suite de recherches qu'il lui avait confiées de dessins
d'antiquités de Pierre Mignard, où figuraient, en particulier, les
Antiques de Saint Remy.
Dans la nombreuse correspondance qu'échangèrent ces deux savants, le
barrage romain des Peiròu est largement évoqué de 1763 à 1765.
Fernand Benoit en a déjà fait état en 1935 dans un article intitulé Le
barrage et l'aqueduc romains de Saint Remy en Provence paru dans la revue
des Etudes Anciennes (Tome 37, N°3, Juillet-Septembre 1935, p.331).
D'après Esprit Calvet, le barrage était ancré dans le rocher à l'aide
de 2 larges entailles faites de chaque côté de la gorge. Celles d'amont
avaient 3 pieds de large (environ 1 m.) et celles d'aval 4 pieds,
l'intervalle entre les 2 entailles étant de 5 pieds.
Les rainures d'aval ont été presqu'entièrement recouvertes par la
nouvelle construction et celles d'amont le sont par les eaux, ne laissant
voir que le sommet de la rainure de la rive droite.
Un double système de canalisations, que l'on peut suivre sur quelques
centaines de mètres conduisait les eaux vers Glanum.
Le premier forme un sentier à faible pente taillé dans le roc en
suivant les sinuosités de la montagne. Par endroit il est taillé en
auge, non pas pour le passage des eaux, mais plus probablement pour
retenir des tuyaux de plomb.
Le second procède d'une autre technique. Des entailles ont été faites
dans le roc pour servir de base à un aqueduc aérien. Parallèle au
premier et le touchant presque, il s'en écarte seulement et d'une
manière importante pour s'éloigner d'une face et d'un couloir
d'éboulis, qui devaient endommager la première canalisation. Ils se
rejoignent ensuite pour traverser (sans laisser de trace) un vallon et on
les retrouve tous les deux sur l'ancien sentier qui menaient des fouilles
de Glanum au barrage en s'élevant progressivement au-dessus de la gorge
des Piròu.
L'absence de restes de mortier, aussi bien dans les rainures du site du
barrage que dans les entailles de la canalisation, sema le doute parmi les
archéologues.
En particulier, Isidore Gilles affirma dans son ouvrage Marius et
Jules César - Leurs monuments dans la Gaule, paru en 1871 :
" Ce travail, à peine commencé lorsque Marius quitta le camp de
Glanum, fut abandonné en l'état où nous le voyons, malgré
l'affirmation contraire de quelques écrivains. " (M. de Lagoy, M. de
Gasparin)
Mais vers 1885, Hector Nicolas étudia les fossiles des Alpilles et
publia en 1888, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, le
compte-rendu de ses travaux, où il indique:
" Mes incertitudes disparurent en étudiant un tout petit dépôt
vaseux situé à quelques 20 mètres à l'amont des grandes rainures et à
une hauteur suffisante pour résoudre la question.
Ce limon, bien au-dessus des eaux qui coullent encore sur le roc,
contenait une foule de coquilles lacustres, telles que planorbes, limnés,
physes et autres certainement qui vivent dans les eaux stagnantes ou à
faible courant.
Cette découverte, pour si insignifiante qu'elle paraisse, ne vient pas
moins confirmer l'existence d'une accumulation d'eau, où sont nées et
où se sont développées les espèces de coquilles que j'ai rencontrées
dans ces alluvions lentement formés en amont par l'élévation des eaux
du ravin, et elles sont si caractéristiques qu'aujourd'hui, bien que le
ruisseau ait son libre écoulement, on les chercherait en vain dans ce
courant, contraire à leur habitat. "
L'argument était irréfutable, et Isidore Gilles, après l'avoir reconnu
de façon peu claire en 1890 dans son article Glanum, Saint Remy de
Provence, publié dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse,
disait franchement en 1897, dans son Pays d'Arles (Tome 2, p.343):
" Nous nous trompions ainsi que nous l'avons reconnu. "
Pour expliquer l'absence de mortier, Hector Nicolas émit l'hypothèse de
constructions en bois pour la seconde canalisation, parfaitement plausible
par la présence d'entailles dont les positions correspondraient à
l'adjonction de contreforts dans des parties courbes de la construction.
Il donne la même explication pour le barrage lui-même qui aurait été
constitué de deux murailles de troncs d'arbre engagés dans les rainures,
avec bourrage de terre entre les deux.
Cela ne nous séduit guère et il vaudrait mieux rejoindre l'opinion de
N. Schnitter Reinhardt qui, dans les Dossiers de l'Archéologie
(N°38, Octobre-Novembre 1979), se basant, sans le citer sur les
descriptions d'Esprit Calvet, concluait à l'existence d'un barrage voute
nécessairement construit en pierre avec noyau intermédiaire de terre
assurant l'étanchéité, ce qui nous semble plus logique pour la
solidité de l'ouvrage.
Pour terminer et en fêtant, sans doute, le bimillénaire de l'ancêtre
du barrage des Peiròu, rendons hommage à la claivoyance d'Esprit Calvet,
qui ajoutait en terminant sa description adressée au Comte de Caylus:
"... il n'en coûterait pas deux mille écus pour remettre les
choses dans l'ancien état. Je l'ay dit et répété aux chefs du pays,
ils n'y veulent rien entendre. "